Ahmad Jamal et Yusef Lateef dans la lumière

Publié le par Philippe Deneuve

Ahmad Jamal et Yusef Lateef dans la lumière

Sur la scène de l'Olympia ce 27 juin 2012, Ahmad Jamal avait une force irradiante, une allure qui forçait le respect ; ses longs doigts courant sur le clavier étaient un cours d'esthétisme et une leçon de musique.

Ce coffret DVD et CD est peut-être de ceux qui marqueront l'histoire du jazz. En images et en sons, l'on peut détailler la fine structure du groupe. Car le maître est entouré d'épées : Reginald Veal à la basse, dont l'attitude débonnaire tranche avec son sens des attaques. Herlin Riley, batteur lové dans la pulsation intermédiaire comme un félin, qui sait se faire oublier, ce qui est une grande vertu en jazz. Quant à Manolo Badrena, il a fait les beaux jours des différentes formations de Joe Zawinul. Il est toujours surprenant au milieu de ses congas.

La première partie du concert reprend le répertoire de Blue Moon, le dernier album du pianiste. L'exécution est parfaite et jamais l'on ne se lasse du jeu d'Ahmad Jamal, entre lyrisme tenu et accentuations mesurées. Une musique universelle parce qu'accessible, sans léser pour autant l'amateur d'improvisation. Un summum.

Mais la grande surprise de ce live est la rencontre du pianiste et de Yusef Lateef, deux anciens compagnons du label Atlantic pendant les années 60. « Ils ne s'étaient pas vus depuis longtemps » m'a dit Pascal Bussy du label Jazz Village. Yusef, 92 ans, arrive d'un pas lent sur scène. Il est vêtu d'une longue tunique et dégage une belle sagesse, tandis que son visage paraît taillé à la serpe. Il s'assoit à côté d'une petite table où sont disposés quelqu'uns des pipeaus et flutiaus qu'il a glané autour du monde. Puis, il nous emmène dans une longue promenade mystique d'une demi-heure, où il alterne ténor plaintif, gémissements gutturaux et chants. Sa transe est communicative. Trouble in Mind, blues incandescent et Brother Hold Your Light, tutoiement poignant avec la mort, éblouissent le public. Un dialogue spirituel et télépathique s'instaure entre les deux maîtres. On est scotché.

Le concert s'achève sur une reprise sereine et rieuse de Poinciana, le tube qui fit la gloire de Jamal lorsqu'il l'enregistra pour le label Chess en 1958, avec Israel Crosby et Vernel Fournier.

Ahmad Jamal était le pianiste préféré de Miles Davis. Ils partagent un sens de l'espace et de l'intensité unique et le goût des mélodies accrocheuses.

Nul doute que ce disque est l'un des meilleurs de l'année.

"Un dialogue spirituel et télépathique s'instaure entre les deux maîtres." Philippe Deneuve

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